Gens du voyage : les aires d’accueil comptabilisées dans les quotas de logements sociaux ?

Gens du voyage : les aires d’accueil comptabilisées dans les quotas de logements sociaux ?

La proposition de loi du sénateur LR Patrick Chaize entend « améliorer les dispositifs existants » sur l’accueil des gens du voyage, en gérant mieux les « flux », tout en renforçant les sanctions, pouvant aller jusqu’à la saisie du véhicule. Les communes voient une part de leurs contraintes allégée.
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Revoir les « outils des collectivités » sur l’accueil des gens du voyage. C’est l’ambition de la proposition de loi des sénateurs LR Patrick Chaize, Sylviane Noël et Alain Chatillon, examinée mardi 19 janvier au Sénat. « Il s’agit de pouvoir faire évoluer et améliorer les dispositifs existants qui posent un certain nombre de difficultés opérationnelles. Il n’y a pas de volonté de renforcement en tant que tel. L’idée, c’est de corriger et d’améliorer » soutient Patrick Chaize, sénateur de l’Ain. Une partie des mesures prévues par la PPL, soutenue par le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, constitue pourtant bien un renforcement de la législation d’un côté, couplé à un allègement des contraintes pour les collectivités de l’autre.

Des communes ne respectent pas la loi

Petit rappel : la loi Besson de 2000 avait renforcé les schémas départementaux d’accueil des gens du voyage, en précisant les objectifs. Elle imposait aux communes de plus de 5 000 habitants d’avoir une aire d’accueil. Dans les faits, beaucoup de communes ne respectent pas la loi. Selon un rapport de 2010 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, seules 48 % des places en aires permanentes d’accueil prévues par les schémas départementaux avaient été créées fin 2009. Et 26 % des places prévues en aires de grand passage avaient été réalisées.

Même constat dans un rapport de 2012 de la Cour des comptes, qui notait que fin 2010, « seules 52 % des places prévues en aires d’accueil (21 540 places réparties entre 919 aires d’accueil) et 29,4 % des aires de grand passage (103 aires) avaient été réalisées ».

Recensement par le préfet et réservation préalable d’une place

Pour améliorer la gestion des places, le texte prévoit un recensement par le préfet de région des « résidences mobiles » où dorment les gens du voyage, pour mieux gérer les flux et éviter la saturation des aires. La PPL prévoit aussi la mise en place de dispositifs de réservation préalables à l’accès aux aires.

Le dernier article de la proposition de loi, dont la rapporteure est la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, renforce la lutte contre les installations illégales, avec un « dispositif d’astreinte solidaire » de 100 euros par jour et par résidence, payable à la commune, un doublement (de 7 à 14 jours) de la mise en demeure d’expulsion et l’obligation pour le préfet d’organiser l’évacuation, quand les conditions sont réunies. « Aujourd’hui, si le préfet ne pense pas qu’il y a d’atteinte à l’ordre public, on laisse les choses se faire », pointe Patrick Chaize.

Désaccord sur la saisie du véhicule

En commission des lois, les sénateurs sont allés plus loin sur le volet répressif, en adoptant un amendement du sénateur UDI Loïc Hervé. Il connaît le sujet car il est l’auteur, avec l’ancien sénateur LR Jean-Claude Carle, d’une PPL sur les gens du voyage. Elle avait passé le cap de la navette parlementaire et avait été adoptée aussi par les députés en 2018. « Mais à l’Assemblée, ils avaient supprimé 60 % du contenu », se souvient le sénateur centriste de la Haute-Savoie. « La mesure phare qui avait été votée par le Sénat, c’était l’amende forfaitaire délictuelle de 500 euros. C’est dans le Code pénal. Mais elle n’a jamais été mise en œuvre », regrette Loïc Hervé, « le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, m’a dit qu’elle serait appliquée en octobre 2021 ».

En attendant, le centriste a pu faire adopter un amendement qui durcit les conditions d’expulsion en permettant la saisie du véhicule, y compris lorsqu’il sert de logement. « Il sera transféré sur l’aire la plus proche, quand il y a de la place », explique-t-il. Une mesure que ne partage par l’auteur de la PPL. « Je trouve ça extrême. Je ne l’aurais jamais écrit dans mon texte initial », dit Patrick Chaize, même s’il reconnaît que la « menace » peut avoir un effet. « Le Sénat ne fait que reprendre une disposition qui a déjà été la sienne dans le passé. Il n’y a rien de scandaleux », répond Loïc Hervé.

Autre disposition du texte, qui pourrait faire débat : permettre de comptabiliser dans les quotas de logements sociaux – une autre obligation des communes de la loi SRU – les places des aires d’accueil pour les gens du voyage. « C’est une mesure qui va dans le sens de l’acceptation. Ce n’est pas toujours évident pour une collectivité de dire, vis-à-vis de sa population, qu’elle va mettre à disposition un terrain. Il faut appeler un chat un chat. Si vous intégrez un petit bénéfice, ça peut être facilitateur », selon Patrick Chaize. « On peut dire que c’est une extrapolation » de la définition d’un logement social, reconnaît le sénateur, « mais ce n’est pas si aberrant que ça ».

« Je n’excuse pas les collectivités qui n’ont pas fait leur boulot »

Toujours en faveur des communes, le sénateur LR propose de supprimer la procédure de consignation de fonds pour les communes et intercommunalités ne respectant pas leurs obligations en matière d’accueil. « Ce fonds porte atteinte à l’autonomie financière des collectivités et à leur libre administration », selon le sénateur de l’Ain, qui dénonce « un aspect punitif ». Il ajoute que « c’est une demande des collectivités ».

« Je n’excuse pas les collectivités qui n’ont pas fait leur boulot. Certaines n’ont pas assumé et il reste encore du travail à faire », ajoute Patrick Chaize, « mais ce n’est pas une raison de laisser faire n’importe quoi sur ces territoires ». Pour Loïc Hervé, « cette PPL a le mérite de remettre le débat sur la table. Il s’agit quand même un peu de remettre de l’équilibre dans la relation entre les élus et les gens du voyage ».

« Quand ils s’installent où ils veulent, c’est mal vécu par la population. Les gens du voyage seront d’autant mieux acceptés quand ça se passe très bien ».

Mais cette nouvelle proposition de loi, sur un sujet déjà débattu, ne risque-t-elle pas de stigmatiser davantage une population qui l’est déjà ? « L’idée n’est pas de faire un texte contre les gens du voyage, dont je respecte le choix de vie. Ça va plus les servir que les desservir », en renforçant les installations légales, selon Patrick Chaize. Mais le sénateur LR insiste sur le ressentiment au sein de la population. « Je ne suis pas là pour dire que ce sont des voleurs, ce n’est pas le propos. Mais on a l’impression qu’il y a deux poids deux mesures. Quand ils s’installent où ils veulent, c’est mal vécu par la population. Ils seront d’autant mieux acceptés quand ça se passe très bien », selon l’élu de l’Ain. Il continue :

Il y a d’autant plus de problèmes d’acceptation que le camp se fait de façon illégale. Et d’un point de vue sanitaire, quand ils restent longtemps, ce sont des excréments 300 mètres à la ronde. Il faut bien qu’ils aillent quelque part. Souvent, ils vont dans la nature. C’est une réalité.

Autre exemple donné par l’auteur de la proposition de loi : « Cet été, dans mon département, il y avait des restrictions d’eau, pour arroser les fleurs. Et quelques centaines de mètres plus loin, un camp illicite s’est branché sur la bouche à incendie, qui se déversait 24h/24h pour que les enfants jouent et laver les voitures. Pour les administrés, c’est mal vécu ».

Toujours selon Patrick Chaize, si ces populations sont parfois mal acceptées, c’est de la faute d’une partie d’entre eux. « Aujourd’hui, il y a un amalgame qui se fait autour des gens du voyage, car il y a les communautés qui respectent les règles, qui vont dans les aires. Et puis il y a les communautés qui ne respectent pas. Et ces gens stigmatisent, et apportent un aspect négatif, sur l’ensemble de la communauté », selon le sénateur LR. Le débat en séance demain, avec la gauche, pourrait donner un son de cloche quelque peu différent.

« Les premiers hors la loi, ce sont les mairies qui ne respectent pas la loi » dénonce Yohan Salles, délégué national de l’Union française des associations tsiganes

Avant même le débat, cette proposition de loi a fait bondir Yohan Salles, président du Comité des Tsiganes de la région PACA, délégué national de l’UFAT (Union française des associations tsiganes) et membre des commissions de consultation des gens du voyage auprès des préfectures des Bouches du Rhône et du Vaucluse. « Nous sommes contre cette proposition de loi, du début jusqu’à la fin. C’est encore une loi qui va contre notre façon de vivre, qui est soi-disant respectée, contre nos coutumes, contre tout » dénonce Yohan Salles, par ailleurs membre de la Licra. Il a souhaité réagir suite à la publication de notre article.

« La PPL permet soi-disant de fluidifier les arrivées, ou que les terrains soient considérés comme des logements sociaux. Mais quand nous demandons à l’Etat qu’ils soient considérés comme des logements sociaux pour toucher les prestations sociales, ça nous est refusé depuis 10 ans ! Mais on le ferait pour les communes… » dénonce le responsable associatif. Autre grief de la PPL : « On demande que le préfet vienne pénaliser les gens du voyage qui s’installent sur des terrains sans autorisation. Mais quand il y a des emplacements illicites, c’est que les villes n’ont pas créé de terrains. Les premiers hors la loi, ce sont les mairies qui ne respectent pas la loi Besson. Nous sommes hors-la-loi car les maires sont hors-la-loi et nous mettent en porte-à-faux. Les premiers à pénaliser, ce sont les maires », soutient Yohan Salles, qui s’interroge : « Avant de faire sa PPL, le sénateur Patrick Chaize s’est-il penché sur nos revendications ? Nous a-t-il entendus ? » Le délégué national de l’UFAT a demandé à s’entretenir avec Patrick Chaize. Il doit échanger avec lui par téléphone vendredi. Mais il prévient : « Nous n’allons pas laisser passer ce texte comme ça ».

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