Il faut tordre le cou à une idée qui se développe depuis quelques mois selon laquelle la « libre administration des collectivités territoriales » (articles 34 et 72 de la Constitution) priverait les parlementaires non-membres desdites collectivités de toute liberté d’expression sur les sujets ou projets de ces collectivités.
Cette idée est affirmée comme une vérité constitutionnelle par Monsieur le Président du Conseil départemental de la Haute-Savoie, ancien député, et par certains membres de son exécutif, avec un aplomb qui interroge.
Revenons donc à la lettre de nos textes fondamentaux que personne ne doit méconnaître.
Les parlementaires auraient-ils moins de droits que tout citoyen ou que tout
contribuable ? Évidemment non. Députés et Sénateurs, nous sommes les représentants de la Nation, c’est-à-dire du peuple français souverain. Au Parlement (article 24 de la Constitution), nous écrivons la loi, mais nous contrôlons aussi l’action du Gouvernement et nous évaluons les politiques publiques.
Chaque année, nous votons la loi de finances (budget de l’État) qui comprend notamment les concours financiers aux collectivités territoriales (160 milliards d’euros en 2024). Depuis 1789, nous jouissons d’un droit imprescriptible à nous intéresser à tout ce qui nécessite la dépense d’un seul centime d’argent public (prélevé, rappelons-le, dans la poche des contribuables). Ce droit a été consacré par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans son article 14.
En droit, on appelle « privilège parlementaire » l’ensemble de ces pouvoirs propres qui permettent aux Députés et Sénateurs d’accomplir leurs missions. À chacun d’entre nous de le protéger plutôt que de chercher à l’atteindre.
La France n’est pas fédérale et son État est unitaire. Dans notre pays, c’est le législateur national qui détermine les compétences des collectivités locales. Depuis les lois Defferre, ces compétences n’ont eu de cesse de se développer et c’est heureux. Depuis lors, de nombreux parlementaires (dont je fais partie) ont rendu des rapports à propos de ces compétences. Chaque jour, dans tout le pays, les parlementaires vont sur le terrain à la rencontre des élus et des citoyens en s’intéressant à l’exercice effectif de ces compétences aux échelons communaux,
départementaux et régionaux. Ils nourrissent leurs travaux parlementaires de ces expériences.
Prenons des exemples : l’accueil des gens du voyage ou des mineurs non accompagnés, les sapeurs-pompiers sont bien des compétences dévolues aux collectivités territoriales. Mais il y en a bien d’autres : la construction d’une autoroute, la rénovation d’une ligne ferroviaire, l’organisation d’une compétition sportive internationale, la construction d’un équipement public d’envergure. Il est inconcevable sur un plan démocratique que les parlementaires soient privés de pouvoir s’intéresser à ces pans entiers de l’action publique.
Il y a dans notre département, une tentative, de longue haleine, qui consiste à vouloir effacer des parlementaires en expliquant qu’ils ne sont pas légitimes à s’exprimer, entre autres, parce qu’ils ne seraient pas des « financeurs ».
Cette logique est particulièrement préoccupante et je continuerai à m’y opposer de toutes mes forces.
Le Président du Conseil départemental de la Haute-Savoie n’est évidemment pas le seul dépositaire de l’intérêt général et de la vérité politique. L’État, sous ses formes exécutive et législative, est incarné par d’autres. Le Préfet, représentant
du Gouvernement, d’une part, et les neuf parlementaires, forts de leur légitimité tirée du suffrage universel, d’autre part, ont toute leur place dans le débat public. Par leurs actions, ils contribuent à faire vivre la démocratie en Haute-Savoie.
Devoir le rappeler solennellement en ces termes est révélateur de la crise politique majeure que nous traversons. C’est évidemment pour cela qu’il ne faut transiger sur aucun de ces principes.
Je déposerai très prochainement une proposition de résolution au Sénat afin de permettre un débat et un rappel du rôle que chacun peut avoir dans notre République.